Magmas de Madhu

par Jacques Depauw, Magazine Indes, octobre 2005

 

Madhu Mangal BASU dit  Madhu Basu est né à Kolkata (Calcutta) en novembre 1956 de parents venus de l’actuel Bangladesh au moment de la partition de 1947. La famille habite les faubourgs et l’enfant aime fréquenter les artisans qui fabriquent les statuettes de dieux, mais c’est le dessin qui lui procure le plus de plaisir. Son premier métier est celui de chauffeur de taxi mais ce n’est qu’un moyen d’existence qui lui permet de fréquenter les cours du soir de l’Ecole des Beaux-Arts de Kolkata. La suite est une histoire d’amour lorsqu’en 1985, il rencontre une touriste française. Ils se marient un an plus tard et après avoir obtenu le diplôme de l’Ecole des Beaux-Arts de Kolkata, Madhu Basu arrive en France.


Madhu Basu est admis peu après à  l’Ecole des Beaux-Arts de Paris comme artiste invité et fréquente un atelier « ouvert », où se succèdent différents professeurs. Ainsi il travaille avec Alberola et Velickovic. Là, il étudie les techniques et matériaux et les pigments. Mais il se consacre surtout au dessin. Parmi ses études préférées, notons celles des corps des modèles en mouvement sous l’inspiration de la musique.

 

Suivent quelques années durant lesquelles Madhu Basu cherche son œuvre. Sur les premiers tableaux, des personnages occupent la totalité de la toile, proches les uns des autres, ou formant des groupes compacts animés de mouvement. Puis il les inscrit dans un espace de plus en plus grand.


C’est en 1999 qu’il prélève deux des objets représentés sur ses précédents tableaux, des pots d’abord puis des écuelles.


Les pots sont un travail sur papier. Grossièrement sphériques, ils sont pris dans une perspective légèrement cavalière qui met en valeur un col peu haut mais large, percé d’une petite ouverture. Quelques ombres ou des reflets de lumière, confirment cette perspective mais légèrement car la matière picturale est épaisse, très épaisse même pour une œuvre sur papier, et traduit une opacité qui pourrait être celle d’une terre cuite. Pourtant, rien de réaliste. Le choix de la couleur -une seule par œuvre- en écarte tout risque. Cette couleur -vert, rouge, jaune, brun- a quelque chose de provoquant et nous empêche de rattacher ces objets communs à un souvenir précis. Je doute que l’on puisse identifier ces pots à tel objet de musée ou de vie quotidienne. Certes, ils les évoquent mais ils ont été assimilés. Ils montent de l’imaginaire pictural de Madhu Basu.


Ces pots ne sont pas posés sur une surface. Pas non plus d’horizon marqué comme le serait un rebord de table. Ils ne paraissent pas non plus en suspension. La perspective cavalière ne crée pas un espace trompeur. Ils sont là. Rien de plus. Et ils marquent la feuille de papier d’une émanation de leur propre couleur, plus forte au bas de la feuille et qui s’estompe jusqu’à presque disparaître vers le haut de la feuille. Madhu Basu ne crée pas d’illusion. L’espace n’est que celui de la feuille de papier. Sa peinture n’est pas un leurre.
Dans la série des Magmas, -c’est le titre donné par Madhu Basu- les écuelles comme les pots renvoient à des objets humbles, eux aussi venus de son imaginaire. Sur la toile beige prise dans le sens de la hauteur et totalement blanchie, c’est par elles que commence Madhu Basu. De même que les pots, elles sont détachées de tout réalisme, non plus par une couleur vive mais par le noir. Et dès qu’il y a noir, que ce soit dessin, gravure ou photographie, il y a abstraction. La forme rappelle l’objet, la couleur noire l’évacue.


Sur chaque tableau, les écuelles vont par paire. Elles forment un ensemble. Les angles selon lesquels elles sont représentées sont différents de sorte que leurs formes varient du cercle comme si elles étaient vues de dessus à des ovales plus ou moins ouverts sans aller jusqu’à une vue de profil qui réduirait la convexité des courbes. Elles sont parfois tournées l’une vers l’autre, ou en opposition. A la différence des pots, elles sont accompagnées d’un environnement de taches évoquant un élément liquide dont la transparence est donnée par un noir de moindre densité qui suggère un espace sans limites ni repères.
Madhu Basu place ces écuelles à  différentes hauteurs dans le tableau, un peu au hasard, selon lui. D’où le défi à relever. Comment en poursuivre la composition? La réponse de Madhu Basu est à la fois toujours la même et toujours différente. Elle est toujours la même, c’est le recours au rectangle. Aux formes rondes ou ovales des écuelles vont répondre des formes rectangulaires sur toute la largeur de la toile, ou presque. Elle est aussi toujours différente par leur  disposition et leur forme en correspondance avec les écuelles. Leur couleur aussi varie –bleu outremer ou rouge cadmium, vert phtalocyanine ou violet d’outremer…- et, le plus souvent,  noir- noir de carbone, noir de vigne ou noir d’ivoire, noir de rome…-. Mais justement, regardons bien ces rectangles noirs: la densité et la profondeur de leur noir est obtenue par plusieurs couches de couleurs posées successivement les unes sur les autres dont on perçoit parfois la chronologie, sur les bords du rectangle voire sur la partie de la toile fixée sur l’épaisseur du châssis. (Ne pas encadrer !) Ces rectangles sont comme un nuancier de noir.


Quelle que soit la dimension de la toile (Elles vont de 35X27cm à 250X170cm), ce sont les écuelles qui attirent d’abord le regard. Mais ce n’est que la première approche immédiatement suivie de la perception de l’ensemble. Sinon, ce serait l’échec. Et si elles nous attirent, c’est pour nous emmener vers une expérience picturale. C’est pour nous y introduire.
La peinture de Madhu Basu répond aux questions élémentaires de la peinture: la combinaison de la forme, de la couleur et du  mouvement chère à Ignace Meyerson à laquelle j’ajouterai celle de la figuration et de l’abstraction. Chaque tableau relate l’histoire d’une composition, dont l’artiste  a fixé les conditions arbitrairement. Suit la quête de la satisfaction jusqu’à ce moment toujours mystérieux où il déclare l’œuvre achevée. Cela peut durer des semaines. « Il faut que je trouve une solution. » Telle est la phrase coutumière de Madhu Basu devant un tableau inachevé.


Chacun de ces tableaux est donc une méditation picturale attentive à ce que la peinture n’exprime rien d’autre qu’elle-même. Mais à la différence de beaucoup d’autres peintres, Madhu Basu ne cède pas au minimalisme. Il l’écarte et, en réunissant une allusion à un objet tout simple et une figure géométrique tout aussi simple, sans porter atteinte à sa recherche, il confère à son œuvre, comme malgré lui, une puissance poétique singulière qui sollicite notre sensibilité, notre imaginaire et notre réflexion.


Madhu Basu est aussi capable de s’extraire de ses « magmas » pour aller à Lyon passer une semaine avec une cinquantaine d’autres artistes et y peindre un modèle de lion que, s’inspirant de ses origines, il peint mâle et femelle en vives couleurs.


Pour lors, le trésor des « magmas », sorte d’antiphrase puisque ces tableaux sont très ordonnés, nous donne un monde pictural vivant.